Elle était rentrée de mission la veille. Une histoire de biens volés par des pirates qu'il fallait à tout prix récupérer avant que les vestiges de l'Empire ne tombent dessus. On l'avait envoyé régler cette histoire vite et bien avec son unité. Pas de blessé, pas de perte. Là était devenue sa routine et le nombre de mission qui s'étaient déroulées sans encombres augmentait à chaque nouvelle assignation.

Kada n'aimait pas ça.

Une vieille superstition de rebelle, qui disait qu'à force de trop réaliser de missions sans problème, on s'approchait à tout vitesse d'une grave erreur. Ce n'était pas totalement faux : beaucoup de rebelles gagnaient en confiance à chaque réussite et perdaient donc en attention, ce qui entrainait généralement de graves erreurs de jugement et donc des blessés et pertes.

Que tout se passe bien l'angoissait.

Alors elle avait prit sa journée. D'une, pour décompresser après sa dernière mission, et de deux -surtout de deux- pour prendre le temps de réfléchir aux probables prochaines. Il y avait un endroit où elle aimait bien se retrancher pour souffler un peu. S'éloigner de D'qar sans pour autant se mettre en danger : Corsucant et ses jardins, en particulier ceux de Trophill. Là, elle n'y croisait jamais grand monde et l'environnement était dépaysant. Du moins, tant qu'elle ne levait pas les yeux vers le ciel. Elle avait posé son vaisseau sur le spacioport, puis s'était dirigé sans hésiter une seconde vers les jardins. Laissant son fusil blaster dans le vaisseau, elle avait néanmoins gardé son pistolet blaster accroché à sa taille : Corsucant restait une planète si non dangereuse, terriblement instable. Pomme en main, Kada s'enfonça dans les jardins de Trophill. Longtemps elle ne croisa personne et se contenta de croquer dans le fruit qu'elle avait acheté en chemin sur le marché.

Quelque chose se profilait.

Quoi, elle ne le savait pas. Mais elle le sentait en quelque sorte. Certainement pas comme un jedi le ressentirait, plutôt comme un chasseur sentant intuitivement être sur la bonne voie, approcher de sa proie. Un sentiment qui ne la lâchait pas. Un calme s'était installé sur la galaxie depuis les évènements du District 1313 et elle ne croyait pas une seconde à ce soi-disant accord entre la Nouvelle République et les Vestiges de l'Empire pour aider Coruscant.

Voir la Nouvelle République travailler avec l'Empire la répugnait.

Kada croqua bruyamment dans sa pomme, et même si celle-ci était délicieuse, une grimace s'afficha sur son visage. Quelles ordures. Fraterniser avec l'ennemi. Ils se jetaient dans la gueule du loup, loup qu'ils connaissaient pourtant ! Comment pouvaient-ils autant être dans l'erreur. La Rébellion leur avait redonné le pouvoir, et voilà qu'ils le partageaient avec ceux dont on l'avait justement pris.

"Imbécile de politiques..." grommela-t-elle, se pensant seule dans les jardins.

Elle n'en regardait même plus les fleurs tant elle les connaissait par coeur, ni même les chemins. Cela lui causa de bousculer quelqu'un en tournant à gauche, Kada se raidit et recula de quelques pas par surprise sans penser à s'excuser par réflexe. Mais là n'était pas les siens, plus habituée à se battre qu'à demander pardon. En voyant la petite silhouette, pourtant, elle revint à elle-même et tenta un sourire.

"Oops, désolée." commença-t-elle. "Ma faute, je regardais pas où j'allais. Tout va bien ? Pas de mal ?"

Ce n'était pas qu'elle s'inquiétait vraiment, plutôt une manière de rester polie malgré sa manière d'être brute naturelle.

Elle paraissait petite, elle paraissait fragile, pareille à un coin d'ombre qui s'installe dans une pièce lumineuse, celui qu'on remarque à peine mais qui profile sa tristesse entre les lattes des parquets et les grains de poussière. Oui, Chani était cette ombre là, pas vraiment obscure, pas vraiment présente, un sentiment plus qu'autre chose, une envie de fragilité presque. Et lorsque la jeune femme la bouscula, elle ne vacilla pas pourtant, mais l'on se plaisait à imaginer le contraire, car ainsi était Chani, frêle pour attirer les hommes, pour attirer les autres simplement, car sinon qui s'intéresserait à elle ?
Qui prendrait garde à cette femme qui portait la tristesse comme un maquillage, ne pouvait-elle simplement pas être heureuse, sourire un peu ? Et ses habits étaient bien mis, et son air était soigné pourtant, alors que manquait-il pour qu'on puisse réellement vouloir la regarder ? Rien, mais ainsi était le monde, là où les fleurs sauvages ne pouvaient plus éclore et s'étendre.
Elle avait deux heures, deux petites heures avant de reprendre le travail, elle avait deux heures mais surtout nulle part où aller, alors ici plutôt qu'ailleurs....
Chani avait lu un article une fois, une plante sur quelques planètes lointaines, une fleur empoisonnée capable d'aspirer les couleurs pour peu que l'on s'approche d'elle. Le taux de suicide était élevé sur les planètes où elle se trouvait, et la jeune femme se demandait : si un jour elle avait à tenir une telle fleur entre ses mains, la plante trouverait elle seulement la moindre couleur à aspirer en elle, ou bien dépérirait-elle, vaincue finalement?

L'inconnue qui l'avait bousculé ne pourrait y survivre cependant, trop vive, l'âme bariolée, assez pour s'exalter au feu des passions. Elle parlait vite, assez pour se débarrasser d'une corvée sans non plus se montrer malpolie. Alors, Chani se contenta simplement d'incliner la tête : des gens se bousculaient tous les jours, si en prison on pouvait mourir pour cela, les règles étaient différentes à l'extérieur.

 « Je vous en prie, de toutes évidences vous être pressée alors je ne gaspillerai pas de votre temps ... »

Elle aurait pu être un lutain, cette fille, avec son nez retroussé et ses cheveux décoiffés. Un lutin surgit d'une quelconque allée, ou du cœur même d'une fleur afin de répandre quelques malices dans le monde des hommes, croquant rageusement peut être dans une pomme au passage, volant le fruit sucré par pur désespoir et lissant le jus couler le long de son menton comme un défi au monde et aux bonnes mœurs.
Chani se recula d'un pas, prête à la laisser passer simplement, les yeux prêts à se concentrer sur d'autre horizons qu'elle seule semblait capable de voir. Sa tête se tourna un peu, assez pour rencontrer une fleur à l'écart, d'aspect plutôt repoussant. Elle aimait cette fleur, elle l'aimait comme une sœur peut être, pleurant du dégoût qu'elle pouvait inspirer malgré un parfum exquis. Si la plante était capable de ressentir quelque chose des insultes, alors Chani la comprenait.
Il y avait de la tendresse dans ses yeux à présent, il y avait de l'amour aussi, amour pour une chose inanimée, laide, qui n'en méritait sûrement pas. Et cela pouvait suffire, oui, suffire à ce qu'on traite la jeune femme de folle, à ce que l'on rit d'elle, de ses manies, ses manies de meurtrière préférant les plantes aux humains.
Mais les plantes étaient comme elle : elles ne parlaient pas, elles décoraient et de temps en temps, servaient à assouvir quelques passions violentes lorsque bien des animaux, domestiques ou non, venaient alors se faire les griffes à elles.
Et les plantes ne pleuraient pas, pas plus qu'elles ne souffraient puisque cela n'était pas l'apanage de leur espèce.
Oui, Chani comprenait....

« Faites attention à vous ... »

Et les mots étaient doux et sincère, parce qu'il n'y avait bien que les deux femmes dans le jardin, que cela était un salut comme un autre, et puisque personne d'autre ne se trouvait à leurs côtés, qui d'autre sinon dirait à cette jeune fille que son imprudence ne méritait pas de la faire se blesser ? Une brise secoua alors les abres e les buissons, assez pour que quelques feuilles s'en détachent par delà les allées, une vint 'accrocher aux cheveux de Chani, elle l'y laissa.

Quelle était étrange alors, cette jeune femme. Elle avait beau se trouver au milieu des fleurs, endroit qui d'ordinaire faisait resplendir les dames, elle restait terne et pâle. Comme si le monde s'était écroulé sur ses épaules avec une telle violence qu'à présent plus rien ne se refléter sur son aura. Kada fronça des sourcils alors qu'elle inclinait la tête. Était-elle de bonne famille pour avoir de si bonnes manières ? Peut-être, qui sait. Kada n'était habituée aux protocoles et autres règles de bienséances. Ça se voyait. À des kilomètres. Sans vraiment écouter la jeune femme, elle se baissa pour ramasser sa pomme tombée dans le gravier lorsqu'elles s'étaient bousculées.

Merde.

« Je vous en prie, de toutes évidences vous être pressée alors je ne gaspillerai pas de votre temps ... »

Kada sorti un couteau d'une de ses bottes, cranté, épais, militaire. Elle l'enfonça dans la chaire de la pomme en en faisant couler le jus et y découpa un long bout qu'elle jeta dans les buissons. Un animal le mangera peut-être, ou alors il pourrira et nourrira la terre. Qu'importe. Une fois fait, elle releva les yeux vers l'inconnue juste à temps pour la voir s'éclipser.

« Faites attention à vous ... »

Ah, elle partait déjà ? Ses paroles qu'elle n'avait écouté que d'une oreille trouvèrent le chemin jusqu'à son esprit et Kada lui emboîta le pas.

" Vous permettez ? Je ne suis pas pressée, au contraire. " dit-elle avant de croquer à nouveau dans sa pomme dans un bruit sonore qui déchirait le silence du jardin. Et c'était pour cette même raison qu'elle appréciait ce jardin : le calme qui y régnait. Jamais elle n'avait eu de problème ici, ni même été dérangée. Et si parfois elle venait s'y isoler pour mieux réfléchir, la plus part du temps elle s'y réfugiait pour goûter à la vie qu'on lui avait refusé : une vie banale, tranquille. Comme celle des jardiniers qu'elle connaissait depuis des années. Une vie loin de la sienne complexe et sombre. Qu'elle les enviait. Alors dès qu'elle en avait le temps, elle venait ici. Profiter d'une bulle et d'un temps qu'elle n'avait pourtant pas mais qu'elle prenait quand même. Car ici, jamais elle n'était pressée. Elle ne passait pas en coup de vent.

" Qui le serait dans ces jardins ? " articula-t-elle la bouche pleine.

Rares étaient les fois où elle croisait quelqu'un ici. Encore plus lorsque ce quelqu'un avait un visage... familier. Kada faisait mine de ne pas la regarder, ou la dévisager mais elle gardait -ou du moins essayait- un oeil sur elle et sa démarche. Cherchant les tréfonds de sa mémoire à la recherche de ce visage rond.

" Vous me dites quelque chose. Je vous connais ? " demanda-t-elle soudainement.

Elle n'était pas du genre à tourner autour du pot, ou user de stratagèmes pour prendre ce qu'elle voulait. Si elle voulait savoir quelque chose, elle le demandait tel quel, prête à en subir les conséquences. Bien qu'avec la demoiselle, les conséquences ne semblaient pas très lourdes. La résistante avait déjà maté plus grand.

Etre capable de croquer dans un fruit comme si rien n'avait d'importance, pouvoir faire des choix, des décisions, ne rien analyser, ne rien suranalyser. Parfois, Chani s'imaginait avec une vie comme cela. Ca ne durait jamais bien longtemps, la jeune femme connaissait sa propre nature et comprenait que le bonheur et l'insouciance étaient des notions trop absconses pour son propre esprit désormais.
Elle crut pouvoir s'en sortir par le silence, par la fuite comme d'habitude. Parce que qu'est-ce qu'une jeune fille pleine de vie pouvait avoir à dire à une ombre, n'est-ce pas ?
Elle se trompait, et pour un instant, un instant seulement, ce fut l'hiver. Quelque chose dans le regard changea un peu, mais qui s'y intéressait ? Il ne s'agissait pas de force cachée, il ne s'agissait pas de cruauté, de méchanceté, non ce que la vie avait fait aux yeux de la jeune femme, peu de mots pouvaient véritablement le décrire. Les mots ça devait s'utiliser bien après tout, sans maladresse.

 « Non. »

Après tout, Chani ne se connaissait pas elle-même, et toutes les rencontres que la jeune femme avait pu faire semblait la définir comme une anomalie, rien de plus, faite de mauvais choix pour la plupart. Pour tous.

 « Vous avez simplement vu mon visage dans les journaux, soit il y a un peu moins de vingt ans, car les enfants meurtriers sont rare dans la galaxie, soit il y a quelques mois, à propos d'une riche veuve de la Nouvelle République pouvant être impliqué dans la mort suspecte de son mari. »

La sincérité, pas une arme mais un fait. Ces actes de violences l'avaient conditionné, les soupçons et les inculpations aussi. Ils jouaient un rôle par trop grand dans la personne que Chani était aujourd'hui, peu importe que la jeune femme reste pudique sur sa propre douleur. Sur ses causes.
Et parce qu'elle devait se montrer alerte, Chani regarda un peu plus son interlocutrice. Kada était vêtue en soldat, du moins une tenue s'en rapprochant. Elle ne portait pas l'uniforme de la République, pas plus que celui de l'Empire. Rien d'étonnant, la tension guerrière sur Coruscant comme ailleurs faisait que l'on commençait à se vêtir comme un militaire parfois. Un moyen comme un autre de retrouver un contrôle sur sa vie, surtout pour les jeunes. De dire que l'on était prêt à se battre au besoin, même si on ne savait pas contre quoi.
Kada avait des bottes, Kada avait un couteau, c'était plus que beaucoup. Kada avait des ennemis certainement, d'autres personnes avec des bottes, des couteaux, des blasters, des vaisseaux. Elle portait ses batailles sur elle, mais ne montrait aucune preuve de les avoir menées. La jeune fille savait se battre, rien cependant ne l'en accusait.

 « Je suis Chani Atriides, inutile de me dénoncer à la police ou à quoi que ce soit d'autre, j'ai été innocenté. »

Une pique inutile, elle savait que l'autre n'en avait pas eu l'intention de toutes manières. Les gens mauvais, on les reconnaissait facilement, c'était dans leurs yeux, dans leur façon de poser des questions. Aucun esprit du mal ne posait une question la bouche peine de pomme, en bavant élégamment un peu de jus. Et Chani ne savait pas si c'était là une bonne chose ou non.

 « Inutile également de me demander des conseils sur la manière de tuer quelqu'un.... »

Car cela, vous savez déjà le faire...

Elle ne termina pas sa phrase bien sûr, mais les mots restèrent en suspens entre les deux femmes, inaudibles. Et puis Chani sourit, car cela était drôle en vérité : une journée ensoleillée, des fleurs, deux meurtrières se rencontrant par hasard... kada avait-elle déjà tué ? Dans le fond elle ne savait pas, mais Chani était assez intelligente pour comprendre que cela viendrait un jour ou l'autre.
Chacune à leur manière, elles portaient le sceau de la violence après tout...