Il avait demandé à réfléchir encore un peu, un vœu accordé pour peu qu'il se présente en lieu et heure au rendez-vous fixé pour retrouver l'Egide. Une laisse attaché à son collier peut-être, et sa fièvre était encore trop forte pour que Seth puisse s'en soucier. Les sentiments, après tout il les taisait depuis longtemps déjà ainsi que son éducation et sa nature même le lui demandaient. De glace l'homme devait être parfois, de glace l'homme devait être souvent, que le feu du désert n'érode pas son cœur et ses sens. Et où était le désert à présent ?
Une ombre moins lourde à ses pas, un mot de plus, un mot de moins, ses yeux toujours aussi noir. Il retournerait à l'Egide bien sûr, car l'on attendait cela de lui. Néanmoins, Seth demandait à présent un repos que nulle méditation ne saurait lui offrir. Il en avait besoin, besoin pour recommencer à nouveau, pour analyser ainsi qu'il se plaisait, pour guider un peu parfois lorsqu'on lui demandait. Pour être debout.
Julen n'avait laissé qu'un message assez succin sur son Comlink, assez pour dire que le studio était occupé maintenant, assez aussi pour laisser deviner par qui. Une initiative triste, amère, celle d'un homme ayant perdu une maîtresse, acceptant de donner ses émotions à un bien étrange couple d'amants. Il ne désirait pas le voir, ça aussi il le lui avait dit dans son message, il ne désirait pas le voir, non. Simplement croire en lui.

Des amis pouvaient vous faire devenir Dieu aussi sûrement que des ennemis. Et la pensée méritait réflexion alors, comme tant d'autres choses en ce monde. Il songea à Kilian, Kilian revenu seul sur l'Egide pour ensuite en repartir à nouveau. Définitivement. Parfois, les amis ne vous survivaient pas.

La carte glissa dans la serrure avec un soupir fatigué. L'endroit avait changé, car la présence en ces murs était différente. Ce qui faisait l'intimité du lieu, son essence profonde en tant que cocon protecteur, de par son attitude Seth l'avait transporté dans sa chambre sur l'Egide. Ne restait qu'un lieu nu qu'une femme avait alors pu habiter, malgré les quelques objets restés que l'homme n'avait voulu emmener.
La femme, il ne l'avait pas prévenu bien sûr, et son temps ici serait court, une nuit à peine. Une nuit dont il avait besoin, car ses mains tremblaient encore.
Aujourd'hui, il avait retrouvé ce que trop longtemps il pensait perdu. Aujourd'hui, Seth possédait un sabre à nouveau, le sien propre,et redéfinissait alors son identité propre. Il ne s'agissait plus de pensées ou de mots, il s'agissait d'actions désormais. Alors il entra, refermant la porte derrière lui, vêtu d'un manteau large donnant un autre statut à sa nature même de vagabond, et l'écharpe lui dissimulant le visage portait la trace de bien des voyages alors, y compris ceux intérieurs, cachés dans le noir même de ses yeux.

 « Chez moi est donc devenu chez toi... »

Et cela aussi était logique, ainsi Seth ne possédait plus rien désormais, si ce n'est son propre cœur. Ainsi devaient être les choses, il hocha la tête simplement, se débarrassant de ses affaires sur la chaise la plus proche. Il n'avait pas de sac, simplement de quoi se couvrir, l'écharpe pour cacher ses traits, le manteau assez grand, assez ample pour dissimuler le sabre désormais à sa ceinture. Le sabre. Comment fallait-il l'appeler alors ? Et dans les poches assez grandes elles aussi, un paquet de gateaux, Reika les y avait glissé sans un mot, un cadeau précieux.

 « Approche... »

Les cernes sous les yeux sombres, puisqu'on ne guérissait pas ainsi de ses blessures, le corps toujours aussi souple, toujours aussi noué, celui d'un jeune fauve prêt à bondir. Les cheveux défaits aussi, et tant mieux car il la préférait ainsi.

 « Approche, car ce soir j'ai besoin de toi... »

Un sabre à sa ceinture, une vie qui n'existait plus, un ami disparu....

Depuis quand avait-elle fuit la résistance ?

Une semaine ? Un peu plus ? Elle perdait le fil des jours. Mais il fallait la comprendre, ils se ressemblaient tous à présent. Pourtant, les premiers jours avaient été différents, bien remplis, peu évident. Ray lui avait proposé de s'installer provisoirement dans une planque appartenant à Kathleen, puis elle était tombée sur Julen qui l'avait aidé à s'installer chez Seth sans pour autant le mettre au courant. Comment aurait-elle pût après tout ? Il lui avait fallu jeter son comlink en route, éviter qu'on puisse remonter à elle. Parce qu'elle savait trop de choses à présent.

À commencer par la Résistance. Elle y avait vécu un peu plus d'un mois, y avait évolué, avait effectué des missions avec plus ou moins de réussite. Elle avait réparé leurs vaisseaux, aidé à charger ces derniers, fait des livraisons, en avait récupéré d'autres. Si l'on voulait en savoir plus sur la base de la Résistance et son pouvoir militaire, il suffirait de la trouver elle. Et puis il y avait les jedi à présent également. Elle ne savait pas grand chose, mais la moindre information valait de l'or aujourd'hui sur ces derniers. Et Agheera connaissait des noms, des visages, des fonctions. Elle savait qu'ils s'étaient regroupés, qu'ils cherchaient à reformer l'ordre et même si elle ne s'était pas résolu à les rejoindre, elle avait la chance de pouvoir les contacter via ses connaissances. Jayden, Ashleigh, Kilian. Seth. Quatre noms, quatre visages, quatre manière d'atteindre les jedi. Et si un attentat avait été commis contre ces derniers, ce n'était pas pour rien. On leur en voulait. On les cherchait certainement aussi. Il suffisait de la trouver pour les atteindre, même de façon minime. Et il y avait aussi les Siths. Dans sa malchance elle en avait rencontré un. Elle était sensible à la force, Agheera, n'avait encore reçu aucun enseignement. La trouver et la faire sombrer serait un jeu d'enfant pour ces derniers. On lui avait dit de s'en méfier, mais elle le savait déjà. Ajouté à ça la prime déjà présente sur sa tête et il semblerait qu'elle n'ai vu le monde que pour le quitter de manière violente.

Un aimant à ennui. Elle était un phare guidant les problèmes vers elle par sa seule présence.

Et elle se détestait pour l'être.

Tout était de sa faute, évidemment. Et par tout, elle entendait surtout l'état de santé de Scipio. On lui avait dit qu'il était tombé dans un coma profond, sans aucune idée quant au jour où il se réveillerait. S'il se réveillait un jour.

Elle l'avait tué, en quelque sorte.

Agheera était un monstre. Elle tuait des innocents et par sa simple nature pouvait attirer des ennuis à autrui. Résistance, jedi, quiconque se frottait à elle se retrouvait comme marqué. Destiné à être affaibli par ce simple contact. Elle était la faille par laquelle le vent pouvait s'infiltrer, et avec lui l'obscurité.

Alors elle s'était isolée loin de tout. Loin des gens qu'elle aimait, loin des organisations qui lui importaient. Là, sur Coruscant, dans le petit appartement de Seth elle avait trouvé un refuge. Elle faisait profil bas, donc. Travaillait contre quelques crédits. Tout juste de quoi vivoter. Et c'était Qi Lozar à nouveau sans le soleil et le sable, avec la pollution et l'obscurité. Se lever chaque jour pour manger chaque soir et trouver dans cette monotonie un certain calme. Chaque journée ressemblait à la précédente et le temps défilait étrangement, ne trouvant du repos qu'à la nuit tombée. Sans comlink, elle n'avait plus pu contacter Seth depuis des jours mais on lui avait conseillé de se débarrassé de tout objet pouvant la relier à la Résistance. Ce qui se limitait à son comlink. De nombreuses fois, on lui avait demandé pourquoi elle ne vendait pas BB-2 pour partir à l'autre bout de la galaxie dans un vaisseau à elle.

Mais personne ne pouvait comprendre son attachement au droïde qui ne la quittait pas.

Car c'était Qi Lozar à nouveau. C'était Coruscant à présent.

Agheera avait fait des lieux les siens, posant ses affaires ça et là. Le peu qu'elle possédait. Quelques vêtements, son blaster, son nouvel électrostaff et quelques outils. Rien de plus, rien de moins. Evidemment il y avait BB-2 également mais il n'était pas un objet. Jamais il ne l'avait été. Lorsqu'elle ne travaillait pas, elle passait ses journées à tester sa connexion à la Force. Elle n'y connaissait pas grand chose, se rappelait seulement des histoires de ses parents. De la sensation qui l'avait prise lorsqu'elle avait projeté le Sith loin de Scipio.

En vain, finalement.

Alors elle manipulait quelques objets, jamais bien haut, jamais bien vite ou précisément. Mais elle s'entrainait seule, testait ça et là ses aptitudes. Soulever des petits objets, accroître sa force physique, son équilibre. Sentir la présence d'un client avant qu'il n'arrive. Sentir le lien qu'elle avait toujours ressenti au fond, celui qui parcourait la galaxie pour la relier à Seth. Elle ne comprenait pas comment mais était las de chercher des réponses. Tout ce qu'elle savait, c'est que parfois, il y avait ces sensations de mal-êtres qui n'étaient pas les siennes. Ces pensées lointaines aussi. Un murmure au loin, un soupire. Une ombre.

Toute la journée, elle l'avait senti se renforcer jusqu'à presque l'étouffer quelques minutes auparavant. Il était là. Elle le savait sans comprendre comment ou pourquoi. Mais l'important c'était qu'elle le sentait. Et c'était déjà beaucoup.

Des semaines qu'elle ne l'avait pas vu.

Des jours sans nouvelle, sans un mot.

Une précaution nécessaire.

Une épreuve, aussi.

Lorsqu'elle était rentrée, elle s'était ruée vers la douche. La journée avait été longue, mais bien chargée, ce qui voulait dire qu'elle avait pu passer acheter de quoi manger pour quelques jours. Une victoire en soi. Regardez. Regardez comme elle n'a besoin de personne pour vivre.

Un petit bip, léger, alors qu'elle sort de la salle de bain habillée et le cheveux encore mouillés. La porte qui s'ouvre, son coeur qui s'arrête.

Est-ce que c'est lui ?

Agheera se crispe, et si ça n'était pas lui ? Son blaster était loin, son electrostaff aussi. Imbécile, naïve. Mais l'ombre lui criait le contraire, et il y avait la Force qui lui avouait la vérité. C'était bien lui. Elle était loin, dans l'embrasure de la porte menant à la salle de bain. Lui était loin, refermant la porte d'entrée derrière lui. Elle ne bougea pas d'abord, ne sachant que faire même si son coeur lui savait déjà tout.

« Chez moi est donc devenu chez toi... »

Un sourire lui fend le visage alors qu'il reprend possession des lieux vêtement par vêtement. L'appartement vide semble soudain prendre vie, comme si sa simple présence remplissait les lieux. Agheera reste silencieuse à contre jour. La lumière de la salle de bain est allumée derrière elle, les volets de l'appartement sont mi-clos. Pas question de laisser savoir qu'une personne y habite à temps plein, mais le soleil lui manque.

Car Coruscant n'est que goudron et gratte-ciel. Et elle, elle a faim de grands espaces, de soleil et de pluie. Elle étouffe ici, les cernes sous ses yeux vestiges de ses blessures trahissent les nuits agitées qu'elle passe dans le lit plus loin. Un sommeil plein de cauchemars pour une journée l'estomac noué et les poumons crispés.

« Approche... »

Et ce n'est que lorsqu'il est prêt qu'elle s'avance, féline, ses pas à peine audibles. Qu'il s'agisse de Force ou d'agilité, qu'importe. Elle se bat pour disparaître au milieu de la ville, du bâtiment, de la galaxie même.

« Approche, car ce soir j'ai besoin de toi... »

Un pas, deux pas, elle dévore la distance comme une enfant affamée. Le corps tendu mais les mains tremblantes de le revoir enfin. Alors peut-être pourra-t-elle un peu souffler lui qui semblait être le seul à dompter la crainte et l'anxiété que l'animal au fond d'elle éprouvait quotidiennement. Ses mains tendues attrapent les siennes doucement, avant de les quitter pour monter jusqu'à son torse et puis sa nuque dans un courant d'air fébrile alors que soudainement elle le serre dans ses bras.

Comme une orpheline.

Il avait besoin d'elle, mais savait-il à quel point le contraire était vrai ? Alors qu'elle pensait avoir trouvé sa place, on l'avait chassé. Une fois, deux fois. Pour sa nature, pour ne pas être assez bien. Son crime s'était d'exister, d'avoir été modelé ainsi. Sans place et sans but.

Et qu'elle avait été seule alors.

Contre la vérité. Contre le mensonge. Contre le Sith. Contre la mort. Contre la Résistance. Contre les jedi. Contre les pirates et les bandits. Contre la vie elle-même. Pendant des semaines on lui avait apprit à vivre seulement pour le lui retirer d'un coup sec. Elle était tombée. Sans parachute. C'était Qi Lozar à nouveau. C'était rencontrer la mort à nouveau sans avoir à trainer de corps cette fois-ci. Mais avoir à se trainer soit. On lui avait dit de partir, loin, pour le bien du plus grand nombre. On lui avait dit de se cacher pour le bien du plus grand nombre. On lui demandait de cesser d'être pour le bien du plus grand nombre.

Un sanglot bouscula ses épaules.

Mais elle n'était plus seule à présent. Il était là, et même si elle n'était plus seule qu'un soir, qu'une nuit, alors peut-être que cela suffira jusqu'à la prochaine chute.

" Je suis là. " souffla-t-elle doucement contre sa peau, la gorge serrée. " Tu m'as manqué. "

Des banalités pourtant vraies.

Et doucement elle prit place alors, de ses rêves à ses bras, brûlante comme un désert, affamée de choses qu'elle ne comprenait pas. Il se rappelait Kilian bien sûr, son retour seul lorsqu'ils auraient dû être deux, il se rappelait son propre coup au cœur aussi : Pourquoi, mon ami, pourquoi l'as tu laissé dans sa peur et son tourment ? Et la pensée amère alors, que l'homme lui faisant face n'était peut-être plus qu'un inconnu désormais.Parce qu'il lui avait parlé d'Agheera après tout, ils avaient bu, échangeant sur l'amour, échangeant sur la vie, ils avaient bu et puis l'Egide alors. Le cœur de Seth, martelant de trop de choses : qu'as tu oublié de moi lors de ces derniers jours, qu'as tu oublié de moi alors que nous avions un serment de frères et d'amis ?
Puis Kilian était parti, réapprenant aux jeunes que la mort existait. A qui se confier désormais, à qui confier ses peines lorsque les amants ne le pouvaient ? Une femme là, une femme dans ses bras, et une nuit pour eux lorsque futur et passé revenaient les hanter.
Ils avaient la Force, ne la maîtrisaient pas toujours, et le monde les attendait quoi que l'on dise.
Le monde.

 « Ainsi que je l'avais prédit, les choses ne peuvent revenir aux rêves premiers. C'est à nous d'avancer et de construire désormais, je le comprends. »

Et qui parlait par sa bouche alors, car il y avait là trop de sagesse pour un simple chasseur de primes. Il était jedi, non point apprenti, non point simple sensible... Il était jedi. Alors seulement, Seth embrassa le front d'Agheera, ses paupières et ses lèvres, car elle était la femme qu'il aimait, et se détacha d'elle. Il enleva le lourd manteau couvert de poussière qui le recouvrait, et le sabre brilla à sa ceinture. Le sabre à la poignée marquée, abimée, lui qui avait été si souvent manié. Qui le serait encore désormais.

 « Tu étais avec moi, toujours, ta voix m'a manqué, ton corps, tes doigts... Mais ta présence, elle était là »

Doucement, il se tapota le front. Comment aurait-il pu supporter toute cette solitude sinon, hein ? La chambre toujours close sur le vaisseau, l'idée qu'il n'y était pas à sa place, mais que quelqu'un l'attendait quelque part. Que quelqu'un pensait à lui aussi, au moins tout autant que lui pensait à elle. Un exercice difficile, agencer cette obsession de manière à ce qu'elle reste présente sans pour autant prendre le pas sur chacune de ses capacités mentales. Lui laisser assez d'espace pour s'exprimer et s'épanouir, car il s'agissait d'amour, se laisser assez de frontières pour ne pas tomber.
Il était toujours debout, elle aussi. Pour ce soir, ni tristesse ni chagrin, simplement eux. Elle. Sa guerrière, et pouvait il penser à elle autrement ? Non, car du combat rien ne restait véritablement à lui apprendre.
Elle n'était pas comme ces enfants qu'il fallait modeler, éduquer, non. Sensible à la Force peut être, mais adulte confirmée, Agheera aurait du recevoir un enseignement propre que d'autres lui avaient refusé. Qu'importe, car leur lien était une leçon, car d'autres personnes croiseraient son chemin. Car elle avait ses intuitions, que sa peur disparaissait.
On ne pouvait toujours survivre à un sith, lorsque cela arrivait et que les ténèbres ne vous réclamaient pas, alors quelque chose d'inébranlable vous protégeait alors le cœur. Un château, une muraille, résister aux ténèbres, les comprendre un peu et simplement les refuser.

 « Je meurs de faim...

L'appétit, la vie. Il mangeait peur sur l'Egide, il avait mangé peu ici aussi, seul. Seul, il n'était plus, il y avait cette envie de l'entendre elle, de vivre, d'être à deux, d'être heureux. Boire, manger, arracher aux heures et aux minutes ce qui leur appartenait de droit désormais. Il n'avait plus peur, peur des autres, peur des conséquences, et le sabre était à sa ceinture, désormais Seth pouvait prendre ses propres décisions.
Julen, son message d'adieu, oui cela était logique. Car Seth savait comment vivre désormais. Pas être autonome, pas vraiment, jamais, mais quand même.
Vivre non plus avec son handicap, car il avait le sabre, car il avait la Force.
Vivre avec Elle.